Justand Mots

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SEPT HEURES

Publié le 10 Mai 2017 par Céline Justand in Portrait

 

 

Son petit sac à ses pieds,
bien en place à sa place,
elle est assise à sa place,
dans ce train,
pour sept heures de trajet,
et sait très bien qu’elle n’est pas qu’un paquet à trimballer,
du bas de ses sept ans,
avec son petit sac à ses pieds.
Elle sait qu’elle n’est pas qu’un paquet,
qui tourne le dos à la marche en avant,
comme un temps empaqueté dans un paquet
qui n’avance que si on lui ordonne de marcher.
À l’heure où la sieste a commencé,
et les sept heures de trajet bien entamées,
la petite fille,
avec son petit sac à ses pieds,
sait qu’il n’est pas si facile d’être éveillée,
à sept ans à peine,
seule à sa place pour sept heures de trajet,
elle sait qu’elle est toute seule,
comme un paquet posé,
à sa place, bien posé,
pas de sieste mais sept heures de trajet.
Il fait encore jour pour quelques heures,
le regard se durcit d’heures en heures,
à travers la vitre, ses yeux,
de sept ans à peine,
regardent avec peine
ces sept heures étrangères.
Elle observe,
pas seulement parcequ’elle est seule,
comme un paquet,
posée près de son petit sac tout discret,
mais rien…
Pas de sieste, pas de goûter, pas de jouet.
C’est le choix de cet être inconscient
d’avoir déposé une petite fille
comme un paquet qui retourne à l’envoyeur,
parcequ’avec ses sept ans,
c’est pas assez grand ou c’est trop petit,
pas assez intéressant ou sans finesse,
pas assez amusant ou trop ennuyeux,
en tout cas c’est pas comme il faudrait
pour continuer des vacances de petite fille de sept ans.
Alors pendant sept heures de trajet,
comme un baptême sans dragées,
gardant ce silence sans sourire,
dos à la marche en avant,
le petit sac et les petits pieds ne vont pas bouger.
Alors que le temps avance
et que les espoirs s’arrêtent en route,
la peur, bien tranquille,
s’installe face à la nuit
et entoure le chaos du vide.
Le wagon se vide.
Gardant ce silence sans sourire,
face à la marche en avant,
le petit sac et les petits pieds vont bouger,
s’agiter, piétiner,
et s’évader du rigide paquet
collé à la place numérotée et imposée,
pour terminer ces sept heures de trajet
dans une tristesse de liberté.
La petite fille de sept ans se lève,
observe le vide,
les places abandonnées,
usagées, méprisées,
vacantes, désintéressantes,
qui ne sont pas les siennes,
alors que le train continue sa lancée,
elle avance,
le temps en pleine face,
son sac à dos dans son dos,
alors que l’heure du bain est passée,
et qu’il serait temps de dîner,
elle se place près de la porte de sortie.
Les sept heures seront bientôt écoulées.
Avec ses sept ans,
elle regardera droit devant, droit dehors, droit dedans,
avec son sac à dos bien droit,
dans son dos droit,
elle suivra sa ligne droite,
sa ligne libre, bien droite, bien libre,
dans le sens de la marche,
avec ces sept heures qui l’ont accompagnée,
avec les adultes qui ont tous fuis
qu’elle regardera bien en face,
droit devant, droit dehors, droit dedans,
avec son sac à dos bien droit dans son dos droit.
Tirant un trait bien droit
sur ceux qui ne veulent ni son bien,
ni son mal,
elle ne leur dira rien,
suivra son chemin tout droit,
droit devant, droit dehors, droit dedans,
son regard au loin,
son sac à dos bien droit dans son dos droit.
Avec ce silence sans sourire,
la petite, debout et droite,
arrive à bout,
à bout de ces sept heures
qui ont tué ses sept ans,
et son sac qui n’est plus petit mais bien là,
ce sac à dos, qui a grandi aussi,
bien droit dans son dos droit.
Les sept heures sont passées.
Elle descend du train
et abandonne comme un paquet
le cadavre de son enfance morte étouffée
d’être restée bien assise à sa place sans bouger,
avec le chaos à ses pieds.

 

Texte : Céline JUSTAND

(2016)

©Céline JUSTAND

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